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Extension de la PMA : lettre ouverte aux parlementaires et aux membres du Comité Consultatif National d’Ethique

30 septembre 2018
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Lettre ouverte aux parlementaires

et aux membres du Comité Consultatif National d’Éthique

 

Hugues REYNES

  • Gynécologue Obstétricien
  • 45 ans de pratique de l’infertilité. A l’origine avec ses associés d’un des premiers centres de FIV en France (Centre Belledonne, Grenoble)
  • Pionnier dans la prise en compte de la douleur humaine dans l’infertilité : voir le documentaire « Un enfant si je peux » (Caroline Tresca – 2003 – Fr 2) et la matrice de la plaquette proposée en 1999 pour accompagner les couples, éditée en collaboration avec le laboratoire Serono.
  • Auteur du livre : « Nouveaux parents nouveaux enfants » édition Favre
  • Référent en Colombie depuis 2015 pour la création d’une génération de la paix, en collaboration avec la faculté de sciences humaines, la faculté de médecine et les pouvoirs publics.

Objet : autorisation de bénéficier de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules.

 

Mesdames, Messieurs les parlementaires et les membres du Comité Consultatif National d’Éthique

Le Comité Consultatif National d’Éthique a rendu un avis majoritairement favorable à l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules dans le but d’apaiser leur désir d’avoir un enfant.

A propos de la parentalité :

Ma première remarque porte sur le fait que ce n’est pas parce que nous avons pris l’habitude d’une chose qu’elle en devient normale.
Comparer la parentalité des couples homosexuels avec une parentalité hétérosexuelle malade est un argument hautement contestable scientifiquement, pour prouver le bien-fondé de l’ouverture de la PMA à des femmes seules ou à des couples de femmes.

En effet, l’argumentation développée sous-entend que la parentalité exercée aujourd’hui par des couples hétérosexuels est une référence acceptable.
Or aujourd’hui, le couple traverse une crise difficile dans nos sociétés, sans parler de la place de la femme. Les résultats des statistiques sur la violence intraconjugale sont affligeants, au point qu’elle est devenue un enjeu de santé publique. Elle a produit 252 morts en 2016 en France. (Chiffre du ministère de l’Intérieur.)
La parentalité elle aussi va mal : voir entre autres les textes de l’HAS depuis 2005 sur la prise en compte de la dimension psychologique dans la grossesse et l’accouchement en vue d’améliorer l’attachement et la bientraitance.

A propos de la violence et son antidote.

La violence, de plus en plus palpable dans nos sociétés, reflète la somme des douleurs individuelles mises bout à bout. La violence est en effet la manifestation de la souffrance. Aujourd’hui, le bébé, l’enfant, l’adolescent souffrent au point de devenir violents. Ils ne le sont pas en naissant. La parentalité est donc bien en cause et en crise.
La solution à la violence est une parentalité adéquate, faite de bienveillance et de bientraitance : Françoise Dolto, Maria Montesori, Emmi Pikler, Danielle Rapoport, Marie-Claire Busnel, Jean-Marie Delassus (et tellement d’autres qu’il faudrait des pages pour les citer tous) ont depuis leurs expertises, tous appelé à l’urgence d’aborder la parentalité à partir de ces valeurs essentielles.
L’enfant est en attente de vérité, de patience et d’amour, au sens d’être aimé pour lui-même et non pour combler le vide ou le déséquilibre d’une existence (enfant médicament). L’amour ce n’est pas combler son propre manque, mais combler celui de l’autre. Quand on prétend vouloir un enfant par « amour », je ne peux m’empêcher de juger le mot inapproprié, car servant d’argument bien commode pour masquer une réalité aux « dessous » moins reluisants.

A propos de la résilience :

Ce n’est pas non plus parce que la résilience fait parfois son œuvre, qu’il faut s’en remettre à elle pour justifier l’absence de comportement adéquat dans la parentalité.
Tim Guénard, ami de Boris Cyrulnik, en est un exemple magnifique. Sa bonne santé en terme d’humanité ne justifie en rien qu’on ne mesure pas l’extrême gravité de ces faits : qu’une maman laisse son enfant dans la campagne, attaché à un poteau, pour s’en aller vers sa propre vie en l’abandonnant, comme cela lui est arrivé, ou qu’un père ivre brise les deux jambes de son enfant et l’envoie pour plusieurs années à l’hôpital, abandonné de tous.
Enfin je pense que chacun de vous connaît aussi les schèmes d’attachement de Bowlby et les conséquences du comportement des parents sur celui de l’enfant.
La résilience devrait donc être utilisée par les adultes ne pouvant pas avoir d’enfant plutôt que de faire ce cadeau douteux à l’enfant, qui est moins armé et n’a pas le choix. « La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres ». La liberté des enfants est d’être conçus dans la logique que la Vie a prévu pour eux, et non dans des arrangements techniques que nos connaissances nous permettent et avec lesquelles nous jouons hâtivement comme des apprentis sorciers.

A propos de celui qu’on évince

Penser qu’on peut facilement occulter le fait qu’un enfant soit issu de la rencontre d’un spermatozoïde et d’un ovocyte, donc issu d’un homme et d’une femme, est irréaliste.
On ne peut pas faire d’enfant sans l’intervention de l’autre sexe même si on fait tout pour l’oublier, l’aseptiser, voire l’abolir.
Dans la réalité physique et psychique, les deux partenaires ont bel et bien existé même s’ils ne se sont jamais rencontrés physiquement. Même si on fait tout pour oublier le père biologique (ou la mère en d’autres circonstances), son fantôme planera dans le psychisme de l’enfant et sur la famille comme un non-dit de plus, comme une incohérence de plus, un abandon de plus, une subtile maltraitance de plus.
Le ‘non-dit’ plane d’ailleurs bien plus encore sur les GPA, mot aseptisé lui aussi, pour parler plus prosaïquement des « mères porteuses » et du commerce qui l’environne. Pour combien de temps encore la France en restera protégée ?
Ainsi, la médecine ou l’éthique, par son cautionnement, donne l’aval à des comportements humains qui ne tiennent pas compte de l’autre, en l’occurrence de l’enfant, et ce, sous prétexte d’égalité.
Avez-vous vu « i comme Icare » qui relate l’expérience de Milgram ? Certes son protocole a été critiqué, mais cela n’enlève pas toute sa valeur à l’expérience qui évaluait le degré de soumission à l’autorité. Vous êtes une autorité. Ce que vous allez décider sera considéré comme normal et légitime.

Grossesse, vie intra-utérine

Minimiser l’expérience de la vie intra-utérine du début de l’existence a des conséquences négatives sur la construction psychique de l’enfant. Dans ce cadre, tout ce qui touche à l’origine peut être particulièrement néfaste.
Le bébé est le centre de tous les enjeux, mais il n’a pas la parole pour donner son point de vue. Alors, l’éthique voudrait que vous preniez pour avocats de sa cause ceux qui le connaissent le mieux. Ce ne sont pas le plus souvent les chefs des services hospitaliers, lesquels, n’ayant pas eu l’occasion d’étudier la vie intra-utérine en dehors de l’embryologie, n’ont pas la science infuse.
Pourtant, certains chercheurs, dont je fais partie, ont beaucoup étudié la question.
Marie-Claire Busnel, chercheuse au CNRS sur la vie intra-utérine a participé en 2005 au documentaire de Bernard Georges « Le monde selon bébé ». Elle est à Paris, et comme Danielle Rapoport, elle prône aussi la bientraitance. Elles se feront un devoir de vous informer, j’en suis sûr.
L’auteur Jean-Marie Delassus (décédé il y a quelques années) décrivait la vie intra-utérine comme l’expérience de « la totalité vitale » dont il était essentiel de retrouver des équivalents une fois l’enfant né, pour le bon développement du futur adulte…
Je peux moi aussi, si vous en exprimez le souhait, répondre à toutes vos questions à propos de ce sujet si grave et si essentiel qui touche à l’origine de la vie. Je sais que le Dr Faroudja est venu donner son point de vue, cependant, il ne représente en aucun cas celui de tous les médecins.

Les mémoires prénatales de Claude Imbert

La vie prénatale a une importance capitale dans la construction physique de l’être – ça, tout le monde le sait – mais tout autant dans sa construction psychique. Elle laisse des traces détectables durant toutes les étapes de la vie humaine.
La violence en est une de ces manifestations, quand il n’y a pas eu assez de bienveillance et de bientraitance pendant la vie intra-utérine, puis dans l’éducation, tant par les parents, les éducateurs que par la société toute entière, qui semble bien être à bout de souffle dans sa forme égocentrique actuelle : une profonde mutation par un changement de paradigme s’avère nécessaire et urgente.
Avez-vous vu les documentaires : « En quête de sens » « Demain » ou même « Human », ou entendu plus récemment Nicolas Hulot sur France Inter ?
Rendre encore plus complexe la parentalité en contournant artificiellement une des conséquences de l’homosexualité ou de la vie solitaire – l’impossibilité de procréer – ne va pas aller dans le sens de la bienveillance envers l’enfant mais plutôt cautionner la satisfaction immédiate d’adultes considérant la parentalité comme un droit.
Il n’y a pas de droit à l’enfant, mais un devoir de bienveillance et de bientraitance, car il nous est confié un être totalement dépendant de nous à qui nous sommes censés ne faire que du bien.
L’humain veut être libre de ses choix et cela est respectable mais il ne veut plus en assumer les conséquences et cela n’est pas responsable.
En tout cas, l’enfant n‘a pas à les assumer, ni à en faire les frais au premier rang.
Contrairement à ce qui est en train de se passer, et que nous dénonçons, l’enfant ne peut pas être considéré comme un produit de consommation courante et monnayable (jusqu’à 80000€ selon le témoignage sur Sud Radio d’un père dont la fille a été traitée pour infertilité à Boston).
Nous en sommes encore à définir l’enfant, à sa naissance comme « un poids, un sexe et ressemblant à …  » Ce sont des propos insultants, car le bébé est avant tout une « personne » ; si je me permettais de définir l’un d’entre vous ainsi, vous en seriez choqué et vous vous demanderiez si j’ai toute ma raison !

La douleur de l’absence d’enfant

Qu’il s’agisse de couples hétéro ou homosexuels, de femmes seules ou d’hommes seuls, l’impossibilité à concevoir un enfant engendre souvent une douleur très intense.
Cette souffrance, quels que soient le sexe ou les choix amoureux de la personne, doit être prise en compte et je suis un des rares à l’avoir proposé, il y a bien longtemps, ce qui a fait l’objet, en 2003, d’un documentaire avec Caroline Tresca.

Il est évident aussi, pour tous ceux qui s’intéressent à la vie psychique, que la douleur du manque d’enfant n’est que la manifestation frustre d’une douleur intérieure beaucoup plus complexe qu’il convient d’analyser puis d’élaborer avant de proposer une solution.
Le documentaire « Un enfant si je peux » (2003) fait remonter à la surface les fondements du désir d’enfant.
Ce manque d’élaboration chronique – dont la responsabilité est double : professionnels et usagers – produit des souffrances supplémentaires dont vous serez responsables, puisqu’il y aura caution des pouvoirs publics et de la médecine. Ce n’est pas une consultation facultative chez un psychologue au cours d’un parcours de PMA qui résoudra le problème.
Cela est un premier pas, mais ça peut juste donner une « fausse » bonne conscience.
Il n’y a donc pas de droit à l’enfant, mais plutôt un devoir envers les lois de la Vie qui a pour fondement la construction délicate d’un être, en le rendant capable de bien vivre avec lui-même et avec les autres. Ce but est bien loin de correspondre à ce que produit l’éducation dans notre société. Pourtant, certains se sont attelés depuis longtemps à ce problème et devraient être mieux écoutés et soutenus.
Jean-Marie Pelt, quelques années avant sa mort, faisait remarquer ceci lors d’une conférence. « Ce qui m’étonne le plus chez l’humain, c’est qu’il se lance dans l’aventure du couple sans trop savoir ce qui l’attend et dans l’aventure de la parentalité sans non plus savoir ce qui l’attend »
Bien sûr, j’ai applaudi longuement…
Mes 45 années de gynécologie obstétrique et mon parcours personnel m’ont mis devant l’évidence qu’il faut se préparer très sérieusement à ces deux expériences.
Si le désir d’enfant est légitime, les moyens que vous envisagez pour remédier à l’absence douloureuse d’enfant ne le sont pas : cela va provoquer des problèmes en cascades plus graves que celui que vous essayez de résoudre. L’enjeu est celui d’une parentalité adéquate, pas d’augmenter le nombre des situations à problèmes.
Commençons par régler le problème le plus crucial de notre société : celui de la violence dont nous sommes responsables, dès la vie intra-utérine. « La paix commence dans le ventre des femmes » comme le dit le slogan colombien. Je suis un fidèle artisan de cette paix.

J’ai peu de chances d’être entendu, mais comme le dit le colibri dans l’histoire de Pierre Rabhi, « j’aurai fait ma part » en mon âme et conscience.

Merci à ceux qui m’ont lu jusqu’à la fin.
Dr Hugues REYNES, 24 septembre 2018.

1 comments

  1. Bien vues les « failles narcissiques et autres problèmes «  dans le désir d’enfant et les risques de la PMA qui n’et que « béquille » ( lire le livre de Anne Françoise Allaz : le messager boiteux). La violence dans la société relayée par les réseaux sociaux ou les participants se sentent protégés par l’écran.
    Merci pour votre lien qui m’a permis de lire la lettre ouverte en entier.

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