Il y a un an Josiane Laminette, Sage-femme qui co-anime depuis des années avec d’autres professionnels et moi-même les week-ends sur la parentalité, était à Bucaramanga. Profitant de son passage et avertie de ses compétences, Ana-Cécilia Ojeda-Siméon, directrice du centre de Recherche en Culture et Société (CICS) de la Faculté de Sciences Humaines lui propose de faire une conférence sur la naissance. Elle a remporté un tel succès que dans les suites, une formation a été envisagée. Les démarches ont demandé un peu de temps, mais finalement début d’été 2015, celle-ci était confirmée.
L’enjeu était de présenter en 20 heures, soit 5 matinées de 4 heures, l’ensemble du travail que nous avons effectué sur le désir d’enfant, la grossesse, l’accouchement et la parentalité.
J’anime chaque module en français et Ana-Cécilia traduit fidèlement. Je le sais parce que même si je ne parle pas couramment l’espagnol, je le comprends à peu près. De plus un diaporama traduit en espagnol est projeté en simultané, permettant aux étudiantes de suivre le déroulement des modules.
Dans la salle, en dehors des étudiants, majoritairement des femmes, se trouvent les professeurs enseignant à l’école d’infirmière et d’autres qui préparent celles se destinant à la salle d’accouchement.
J’inaugure une salle de cours toute neuve. Les câblages au plafond ne sont pas encore tout à fait finis, mais l’ensemble est magnifique, avec une vue sur les montagnes sauvages alentours, qui donne un sentiment de grandeur.
Pendant les intercours, les professeurs viennent régulièrement me poser des questions. Surtout l’une d’entre elles, enceinte de 4 mois, en charge des cours sur la grossesse…
Après chaque intervention, je laisse aussi un temps aux questions et je comprends vite qu’ils vont profiter pleinement de ce moment. Leurs questions sont profondes, courageuses, fortes comme leurs montagnes. Je sens qu’elles touchent soit leur vie personnelle, soit une vraie difficulté face à leur exercice professionnel. Et quand je dis difficulté c’est bien en-dessous de la réalité. Car elles s’affrontent comme chez nous à la maltraitance et aux abus sexuels. Pas simple de répondre, quand je pressens une douleur personnelle encore si vive, dans une question posée devant tous. Je salue le courage qu’elles ont de se livrer ainsi.
Jour après jour, il se tisse entre nous quelque chose dans cette sincérité partagée. Alors que la barrière de la langue devrait nous séparer, nos soucis communs et bien sûr la présence à mes côtés d’Ana-Cécilia, nous rapprochent. Il semble que l’on se reconnaisse dans une approche que je leur propose et qui leur parle vraiment.
Au cours d’une matinée, apparaît un homme plus âgé, qui me semble être un professeur de médecine. Ana-Cécilia me le confirme. Il écoute attentivement, puis s’éclipse lors d’un appel téléphonique.
Le soir, je l’aperçois assis dans la salle où je donne une conférence sur l’impact de la ménopause sur la vie du couple. Je suis surpris de le retrouver là.
Il vient me voir à la sortie, pour me demander si j’accepterais d’intervenir deux jours plus tard à la faculté de médecine, à 6h30 du matin. C’est une opportunité incroyable, mais nous n’avons pas encore réalisé que ce vendredi, dernier jour de formation, va être un véritable marathon.
Le vendredi 6h20 nous nous garons sur le parking de la faculté. Nous sommes la seule voiture. Le temps de monter prendre un café, le parking se remplit et à 6h30 nous commençons l’intervention devant 80 étudiants en médecine et 3 professeurs, dont le chef de service de gynéco-obstétrique. Une heure et demie plus tard, après un temps de questions très pertinentes, nous nous retrouvons avec les 3 professeurs devant un café. Lors de cet échange chaleureux, je leur dédicace mon dernier livre et ils me demandent si je pourrais venir animer une formation dans leur faculté. Ils n’ont rien fait à la légère! Rétrospectivement, je comprends que le professeur présent à mon cours et à ma conférence sur la ménopause, est venu voir ce que le français avait « dans le ventre ». Une fois rassuré, profitant de l’opportunité, il m’a demandé d’intervenir à la faculté.
8h15, nous rejoignons au pas de charge la salle de formation dans la faculté des sciences sociales pour le dernier cours.
Globalement je sens ces Colombiens et Colombiennes dans une dynamique de recherche de solutions, devant des problèmes parfois spécifiques à ce pays. Mais aussi devant des problèmes que rencontrent toutes nos civilisations. Ils explorent et sont à l’affût de ce qui pourrait enrichir leur propre recherche, d’où que cela vienne, mais avec prudence bien sûr.
A midi, nous nous quittons à regret… photos de groupes avec les professeurs puis avec des étudiants. Nous repartons pour un repas que j’ai voulu offrir à tous ceux qui ont œuvré pour ma venue. Ce repas est prévu dans un restaurant à la décoration très moderne. L’enseigne appartient à une chaine. J’apprends qu’ici, ne travaillent que des femmes en difficultés, qu’elles soient fille-mères, qu’elles aient été maltraitées ou qu’elles aient rencontré une autre difficulté particulière, dont j’ignore la nature. Elles peuvent ainsi retrouver une vie décente. Je me demande qui peuvent être les patrons, créateurs de ce concept ? J’aurais bien aimé les rencontrer !
Le temps de préparer la conférence du soir à l’alliance française et c’est reparti à travers la ville. A peine arrivés, la directrice nous reçoit très émue. Elle nous apprend les attentats meurtriers qui viennent d’avoir lieu à Paris. Mais nous n’avons pas le temps d’en savoir plus, car la conférence commence. C’est seulement le soir, une fois rentré à l’hôtel, que je prends la mesure de l’horreur qui secoue la France. J’ai du mal à y croire, mais en parcourant Internet, via les différents médias, c’est toujours la même chose. Il faut se résoudre à l’impensable : la haine pure a animé des hommes qui sont venus tuer des innocents, dans un carnage insoutenable. Je pense bien sûr à ma fille, qui habite Paris et va souvent dans ces quartiers avec ses amis. Elle n’était heureusement pas au mauvais endroit au mauvais moment, mais les autres ? Je pense à ceux qui sont morts, ceux qui ont souffert avant de mourir, à l’effroyable boucherie, ces scènes de guerre, alors que rien ne laissait prévoir une telle cruauté. En même temps condamner ces actes totalement inhumains, totalement inadmissibles et en même temps ne pas tomber moi-même dans la haine.
Pendant le voyage de retour, je visionne la fin du film que je n’avais pas pu terminer à l’aller : « Gandhi »
Je savais déjà l’axe que je voulais prendre suite aux attentats, mais j’en suis d’autant renforcé : Surtout ne pas céder à la haine ! Mais bien au contraire, être un acteur de la paix ! D’abord en moi, puis autour de moi.
Bien triste retour, bien triste vendredi pour l’humanité.
Je retournerai sûrement en Colombie, car j’ai déjà plusieurs propositions pour de nouvelles interventions. Je veux être là-bas comme ici un homme qui tente tous les jours de rejoindre le meilleur de lui-même. Et ainsi par contagion peut-être, inciter les autres à en faire de même. C’est le but du centre de l’Aube que je dirige depuis quelques années à Piègros la Clastre : un lieu qui incite l’homme au meilleur de lui-même en commençant par nous-même.
Merci à tous ceux qui ont permis cette formation et ces rencontres :
Jorge Francisco Maldonado: Doyen de la Faculté de Sciences Humaines, UIS
Ana Cecilia Ojeda-Simeón: Directrice du centre de Recherche en Culture et Société (CICS) de la Faculté de Sciences Humaines
John Edison Almeida: professionnel du Centre du Recherche (CICS)
Jessica Vesga (Secrétaire)
Geraldine Martinez (Auxiliaire du CICS)
Edward Alvarado: (Auxiliaire ad honorem du CICS)
Bravo pour cette magnifique expérience en Colombie!Il y tant et tant de chemin à faire encore pour apporter la connaissance qui libère femmes et hommes.
Depuis Crest et ses chemins délicieux autour de l’Aube..
Dominique