Un texte de Jean Burdin
Mais il s’agit maintenant de parcourir les chemins. Ce voyage que j’évoque tient plus du vagabondage que du parcours autoroutier. C’est une promenade particulière et différente pour chacun de nous. Mais il y a, me semble-t-il, quelques points communs à tous à connaître.
Le carburant
Les élans du cœurs constituent le carburant de ce voyage. Sous le tumulte qui existe à l’intérieur de nous, sous ce tumulte créé par toutes nos séparations et par le bruit que nous faisons en essayant de maintenir chaque chose dans sa case, sous ce bruit… il y a une petite voix, celle du cœur. Entre autre chose elle nous indique nos élans. Ils ne sont généralement pas grandioses. Ils paraissent même parfois un peu insignifiants. Nous les balayons avec des “c’est pas important”, “je n’ai pas le temps”, “je ne saurais pas quoi faire”… Nous pouvons apprendre à faire un peu moins de bruit pour les entendre mieux, et surtout nous pouvons les écouter et les suivre. Un élan du cœur c’est comme une petite aspiration, une petite lumière qui brille et qui nous attire.
Les obstacles
Le jugement est sans conteste l’obstacle majeur sur ce vagabondage. Il prend des formes différentes pour chacun de nous, mais toujours il dit du mal de celui contre qui il est prononcé. Et le premier jugement est contre soi. Ce sont ces petites phrases qui nous permettent de nous assassiner “tu vois bien que tu ne pourras pas le faire” , “ça ne sert à rien”, “tu n’y arriveras jamais”, “qu’est-ce qu’ils vont penser de toi”…
Au jugement, on peut opposer la bienveillance.
La prétention est également un obstacle. Elle prend des formes différentes mais elle clame la réussite, elle réclame l’attention des autres.
Et finalement, ces deux obstacles importants ne sont que le résultat de notre vision du monde qui trie tout et tous en cases différentes. Le jugement n’exprime que l’inquiétude devant ce qui tente de sortir de nos cases, de ce qui ne répond pas à nos propres définitions. La prétention, elle, met des cases au dessus des autres. Si le jugement essaye de faire un tri entre le bien et le mal, la prétention introduit le mieux, le meilleur et le pire. Avec ces deux outils, nous avons quadrillé tout l’espace et pouvons ranger chaque action, chaque personne à la place que nous lui avons assignée. Tout est bien rangé, bien défini. Tout est bien immobilisé. Toute vie est devenu impossible.
Et pourtant, tout au fond de nos cœurs, il reste encore un appel. Une envie d’ouverture, une envie de rencontre, une envie de liberté…
Les balises
Se souvenir du but. Parce que chemin faisant, je vais oublier où je voulais aller. Alors garder la trace de la destination qu’on s’est fixée est important. Ainsi, quand fouillant mon sac à la recherche d’un sandwich, je retrouve cette destination, je peux vérifier si je suis dans le bon sens ou non. Et agir en conséquence. Quand je me sens égaré, je peux me remettre en ordre.
J’emporte aussi un peu d’obstination. Je sais bien qu’en vagabondant je vais rencontrer le voleur de grand chemin, le Voleur d’Âme. C’est lui qui me dit “Rentre à la maison, tu n’y arriveras jamais”, il me dit aussi “C’est impossible”, “Pour qui te prends-tu ?”, “Il y a des choses plus importantes à faire que de baguenauder comme ça” et tellement d’autres choses plus insidieuses ou plus violentes. Il faut un peu d’obstination parce que je crois qu’on ne peut pas voyager sans lui. Alors il faut l’entendre et avoir la persévérance de lui répondre chaque fois “Oui, d’un certain point de vue tu as raison, mais je vais le faire quand même”.
J’emporte aussi un peu de déraison. Dans les vies que nous avons aujourd’hui, il est déjà un peu déraisonnable d’entreprendre cette sorte de voyage. Mais sans cette déraison, je risque de croire certaines des choses que me glisse le Voleur d’Âme. C’est la déraison du croyant qui devant la phrase “Parle à toute l’assemblée des enfants d’Israël, et tu leur diras: Soyez saints, car je suis saint, moi, l’Éternel, votre Dieu.” (Lévitique 19,2) se dit : “Ok, alors je vais devenir saint puisque c’est ce que me demande mon Dieu. Même si je n’y arrive pas, c’est là ma destination”
Et enfin, j’emporte aussi ceux qui me touchent. Que ce soit Amma, Martin Luther King, le mahatma Gandhi ou Jésus, mais cela peut tout aussi bien être ma grand-mère, cet agriculteur qui était pour moi la sagesse du terroir ou cette institutrice… s’ils me touchent, c’est parce qu’ils me nourrissent. S’ils me nourrissent, c’est parce qu’ils ont déjà parcourus tout ou partie du chemin dans lequel je me suis lancé. Je les emporte, pour que comme des éclaireurs, ils puissent m’aider lors des parties plus abruptes ou des carrefours difficiles.
Alors obstinément, je peux voyager sur le chemin vers ma complétude (ce qui est bel et bien une destination déraisonnable), éclairé de ceux qui savent déjà un peu ou beaucoup.
FIN