Avec la naissance d’un enfant, naissent un père et une mère. Ce sont trois métamorphoses. Celle d’un fœtus devenant un nouveau-né est perçue de façon évidente. Mais devenir mère et devenir père sont des modifications profondes de la façon d’être, de percevoir et d’agir. C’est être conjointement responsable d’une vie. De notre point de vue la grossesse contient tous les éléments pour s’y préparer. Observer les 3 trimestres de la grossesse permet de mieux comprendre les mutations et apprentissages qui s’opèrent pour chacun.
Le premier trimestre offre la possibilité de se mettre en paix avec son passé et ainsi pouvoir mieux décider car libre des interférences de notre histoire personnelle. Le second trimestre orienté sur le présent, apprend à bien traverser le quotidien qui instant après instant, forme le tissu même de la vie et donc de la relation. Le troisième trimestre, tourné vers le futur, prépare à la dimension familiale qui naît de l’expérience fondatrice de l’accouchement : comment je me comporte pour aider mon enfant face à une expérience pour lui difficile.
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L’observateur modifie ce qu’il observe. Et quand on tente l’observation d’un phénomène aussi complexe que ‘naître’, sans doute impossible à appréhender dans sa globalité, on se rend compte que l’observation elle-même modifie son objet. La perception oriente la conception et en retour la façon d’interagir avec l’objet de l’étude.
Pendant longtemps, l’accouchement était “naturel”. C’était un épisode de vie parmi tant d’autres, traversé du mieux possible. Des femmes succombaient à l’accouchement, des enfants mourraient à la naissance ou en bas âge et cela semblait inéluctable. Malgré la douleur, c’était un quotidien subi et accepté.
En 1945, une femme sur cent meurt en accouchant. L’accouchement est perçu comme une expérience présentant un risque vital pour la parturiente mais aussi pour l’enfant. Cette vision est à l’origine d’une nouvelle organisation obstétricale (application systématique des principes d’hygiène, antibiothérapies, prévention des hémorragies…) qui en 50 ans permet de réduire le taux de mortalité maternelle d’un facteur 181.
Puis dans les années 1970, des progrès techniques marquants vont permettre de centrer les recherches sur le risque vital pour le nouveau-né. Bien qu’il bénéficie des progrès accomplis pour la santé de sa mère, c’est souvent à la naissance qu’on découvre les malformations ou les retards de croissance. En réponse à ces préoccupations, l’échographie, les progrès de la cytogénétique vont permettre le dépistage, la prise en charge et parfois le traitement des anomalies. L’enregistrement du rythme cardiaque fœtal pendant le travail a permis de surveiller la tolérance de l’enfant aux contractions durant l’accouchement. De 51,9 décès pour 1000 naissances en 1950, le taux de mortalité à la naissance en France métropolitaine chute à 4,0 pour 1000 en 2003.
Sur un autre plan, dès 1950, un autre axe est exploré : celui du confort et de la gestion de la douleur de la mère. Une première réponse est proposée par le Dr Lamaze à partir d’une exploration des aspects physiques et psychiques, sous la forme de ce qui fut appelé “l’accouchement sans douleur”. Dans les années 1970 le Dr Leboyer poursuit dans cette direction avec son travail pour une naissance sans violence.
Une seconde alternative est proposée par l’amélioration des techniques d’anesthésie qui permettront la mise en place de la péridurale et des rachianesthésies qui seront proposée en routine à toutes les accouchés à partir du milieu des années 1980.
Dans le milieu des années 1980, la vie et la sécurité de la mère et de l’enfant sont acquises. Alors que les techniques qui permettent d’atténuer les douleurs de l’accouchement sont largement disponibles, des femmes témoignent encore d’une certaine déception vis à vis de leurs accouchements. Quel est l’espoir déçu ? Celui de vivre une grande expérience humaine. Les progrès médicaux accomplis permettent, encore une fois, une nouvelle façon d’envisager l’expérience de la naissance et de l’accouchement. Un nouveau champ de préoccupations s’ouvre. C’est l’angle psychique, relationnel, qui se dégage. Maintenant que les risques vitaux sont maîtrisés (hors cas pathologiques graves), il est possible de se préoccuper de l’expérience qui est vécue. Cette idée se retrouve par exemple dans le développement de l’haptonomie, du yoga ou de la sophrologie. Cette expérience quitte le domaine strictement médical, pour s’inscrire d’une nouvelle façon dans une histoire de couple qui construit une famille. C’est une expérience vécue par une femme, un nouveau-né et un homme, assistés d’une équipe médicale. En 2005, le Ministère de la Santé souligne l’importance des dimensions affectives et psychologiques dans le processus de la naissance. Nous observons aujourd’hui cette première rencontre entre 3 êtres humains qui vont fonder des liens particuliers pour constituer une famille. Alors chacun des participants y joue un rôle.
Naître est aujourd’hui le moment de 3 métamorphoses.
D’évidence, naître peut être regardé par chacun comme le moment de l’apparition d’un nouvel humain, c’est l’instant de la métamorphose d’un fœtus en nouveau-né. Et il s’agit bien d’une métamorphose, le bébé passe d’un univers aquatique à un univers aérien. A sa naissance, sa respiration se met en route, il commence son long parcours vers l’autonomie. Même ses perceptions sont modifiées par le changement de milieu.
Les deux autres métamorphoses passent souvent plus inaperçues. Pourtant naître c’est aussi le moment où une femme devient une mère et où un homme devient un père. Et nous n’évoquons pas simplement le changement de statut social qui s’opère, mais bien plus la mise en place d’une nouvelle façon d’être, de percevoir et de penser.
Ces trois métamorphoses conjointes conduiront, par l’expérience partagée, à l’émergence de deux nouveaux systèmes relationnels : une famille et un nouveau couple, un couple de parents. La naissance est le moment de la première rencontre de ces nouveaux êtres.
Pour tenter de comprendre les processus psychiques préparant ces métamorphoses, nous nous sommes intéressés aux manifestations de la grossesse. En étudiant les symptômes courants nous sommes devant une première évidence : ce ne sont pas des symptômes dans le premier sens du terme « phénomènes qui révèlent un état pathologique » tout simplement parce que la grossesse n’est pas une pathologie.
De plus, quand ces signes de grossesses sont partagés par la majorité des femmes enceintes, ils ne relèvent pas de l’exceptionnel, ils définissent une normalité. Ne pas tenir compte de ce point de vue, c’est un peu comme lutter contre la normalité. Profiter de la grossesse, c’est comprendre ce qui se passe biologiquement et psychiquement pour vivre avec cet état nouveau au lieu de le combattre. Nous avons étudié les signes les plus courants en nous interrogeant sur ce qui les provoque, sur ce qu’ils provoquent, sur ce qu’ils permettent, sur ce qu’ils préparent. En essayant toujours d’être le plus pragmatique possible, dans l’idée que comprendre mieux permet de vivre mieux.
Cette patiente réflexion et 20 ans d’accompagnement des couples dans ces aventures humaines que sont la grossesse, l’accouchement et la parentalité, nous ont conduits à proposer une modélisation du vécu de la grossesse pour chacun des participants. Pour plus de simplicité, nous le présenterons de façon schématique dans le cadre d’un couple hétérosexuel décidant d’avoir un premier enfant. Notre approche est cependant adaptable aux différentes réalités possibles : femme seule, deuxième enfant, grossesse inattendue… sans remise en cause du fond.
Bien sûr, cette modélisation n’est qu’un point de vue sur ces évènements. Elle ne prétend pas à l’universalité, et n’en remet en cause aucune autre. Elle a sa propre logique interne. Et les développements qu’elle apporte pour faciliter l’implication des parents dans la préparation à la naissance et dans la parentalité la rendent digne d’attention.
Une place particulière pour chacun des acteurs
Dans cette triple métamorphose, chacun des acteurs a une place singulière. Si c’est une évidence pour la mère et pour le bébé, la place du père est rendu possible par les évolutions de l’obstétrique. Tant qu’il s’agissait de gérer le risque vital, il ne pouvait guère intervenir. Une petite place est apparue dans la gestion de la douleur, comme soutien de sa compagne. Mais quand l’accouchement est envisagé comme la première rencontre de ces trois êtres, fondatrice de la famille, il a forcément une pleine place.
Chacun des protagonistes a une façon propre de percevoir et de participer à l’expérience.
Le bébé, d’un fœtus uni physiquement et psychiquement à sa mère passe à un enfant qui va ‘prendre corps’ dans le monde extérieur et commencer son indépendance. Il est entièrement pris physiquement et psychiquement dans l’expérience. Il n’a aucune liberté dans ce processus : quoi qu’il se passe, il va naître et participer pleinement à l’expérience.
La mère dispose d’un degré de liberté. Certes, elle est prise physiquement par l’accouchement, autant que le bébé par la naissance. Mais elle peut s’impliquer de différentes façons. Aux deux extrémités du spectre des attitudes possibles, elle peut soit accoucher en s’en remettant au personnel soignant dans une sorte de passivité ; mais elle peut aussi s’investir totalement dans son accouchement.
Le père lui n’est pas pris physiquement par l’expérience. Cela lui donne une liberté presque totale. Il peut être complètement absent à l’expérience ou bien au contraire s’y impliquer autant qu’il le peut. Cette liberté accordée par l’absence d’implication physique n’est pas un handicap. Elle offre la possibilité d’une place particulière, il a du recul sur ce qui se passe. Il apparaît alors comme le meilleur accompagnateur de cette femme qui accouche et de ce bébé qui naît, parce que, de cœur, il en est le plus proche.
Mais l’accouchement, la naissance sont l’aboutissement d’un processus de maturation physique et psychique. Pour bien appréhender ce qui se passe, commençons par le désir d’enfant.
Désir d’enfant
Avoir un enfant commence par un désir d’enfant qui met en jeu des ressorts complexes et profonds allant d’une injonction atavique de survie de l’espèce, à un désir de prolongement de sa propre vie en passant par un simple souhait de conformité au groupe social.
Notre enjeu n’est pas de faire l’inventaire et l’étude de chacun de ces ressorts, dont beaucoup sont d’ailleurs ancrés profondément dans l’inconscient. Il s’agit plutôt de comprendre ce qu’est l’arrivée d’un enfant dans une vie humaine.
L’arrivée de l’enfant constitue pour beaucoup de jeunes parents l’une des dernières étapes du processus d’entrée dans l’âge adulte.
La décision d’avoir un enfant intervient lorsque la vie du couple est en voie de stabilisation. Le développement des méthodes de contraceptions efficaces fait de la conception de l’enfant un choix. C’est donc souvent un projet planifié par le couple. C’est dans un contexte d’équilibre des situations affectives, professionnelles et sociales de chacun que cette décision est prise. Cette notion d’équilibre n’a rien d’une norme externe opposable, elle est propre à chaque individu. Dans cette recherche d’équilibre, l’idée d’un enfant apparaît comme une action qui viendrait finaliser la construction de chacun (et du couple) en le rendant ‘complètement’ adulte. D’avoir fondé un couple, on se retrouve avec l’envie de fonder une famille. C’est une place très particulière de l’enfant : comme un ultime ‘avoir’ (avoir un enfant) qui va conduire vers un ‘être’ (être mère, être père).
Chacun des futurs parents sait ou peut pressentir que l’enfant va être un bouleversement dans sa vie, d’où la nécessité d’un certain équilibre avant son arrivée. La décision d’avoir un premier enfant intervient de plus en plus tard, lorsque les situations professionnelles et familiales sont en voie de stabilisation. Le changement de vie qu’est l’arrivée de l’enfant va demander d’instaurer un nouveau type de relation.
L’enfant a cette place très particulière d’une vie qui nous est confiée et à laquelle nous ne voulons faire que du bien. Décider de faire un enfant, c’est décider pour la première fois de créer un lien indéfectible avec un autre être humain. C’est aussi décider de ‘créer’ un autre qui pour la première fois sera plus important que soi. Parent-enfant est une relation définitive : il est toujours possible de quitter son conjoint et donc d’avoir un ex-mari ou une ex-femme ; il n’y a pas d’ex-enfant.
co-écrit avec Jean BURDIN